«Je ne connais aucun écrivain chrétien. . . plus à recommander que Pascal à ceux qui doutent, mais qui ont l’esprit de concevoir », écrivait le poète TS Eliot il y a près d’un siècle. Blaise Pascal (1623-1662), mathématicien français, spéculateur scientifique et apologiste chrétien, était une figure célèbre et provocatrice de la vie dont la réputation posthume s’est développée au-delà de toute mesure grâce à un seul ouvrage qu’il n’aurait jamais songé à publier.
Après la mort prématurée de Pascal, son neveu, Étienne Périer, rassembla une série de notes, de bribes et de fragments des écrits de son ancêtre et les publia, avec un embarras évident, en 1670 sous le titre Pensées (pensées). Le neveu les trouva complètement désorganisés, « mal écrits » et « mal pensés ». Mais, cinq ans plus tôt seulement, François de La Rochefoucauld avait publié son Maximesune collection d’aphorismes spirituels et désillusionnés, et eux avec le Pensées sont devenus des classiques de la littérature française – de longs livres de petites phrases et de paragraphes évoquant deux sortes de sagesse très différentes. La Rochefoucauld décrit simplement les passions des êtres humains dans une société courtoise d’apparences élégantes et de serpents moraux. Ses observations sont sociologiques. Le monde de Pascal était également plein de prétentions et d’apparences, mais les yeux de Pascal recherchent les besoins cachés de la nature humaine, et sa sagesse est par essence « existentielle » et religieuse.
La réputation de Pascal en France est à certains égards différente de sa réputation dans le monde entier, et cette différence déterminera probablement dans quelle mesure on appréciera l’étude charmante, excentrique et fragmentaire d’Antoine Compagnon sur l’écrivain. Il est composé de 41 courts chapitres, dont aucun ne prend plus de cinq minutes à lire.
Pour le monde en général, Pascal Pensées constitue la première grande œuvre de l’existentialisme chrétien. Si l’on retrouve l’ouvrage dans la plupart de ses éditions, on aura du mal à le discerner, mais si l’on se tourne vers la traduction de WF Trotter de 1931, la forme d’argumentation vers laquelle Pascal travaillait devient assez claire. Pascal a examiné la nature humaine et l’a trouvée en désordre : certaines personnes comprennent les mathématiques, d’autres le cœur, mais presque personne ne comprend la réalité dans son ensemble. Ils passent leurs heures à rechercher des vanités, qu’il s’agisse d’argent ou de connaissances scientifiques, dans l’espoir que de telles choses les rendront heureux. Et pourtant, nous savons tous que ces choses pas comblez-nous; nous les poursuivons simplement comme une diversion, pour nous épargner la « misère » d’être laissé seul pour penser à notre état actuel et à nos véritables besoins.
Quelle était cette condition, selon Pascal ? Nous pensons les choses à la dérive dans un abîme mathématique. Nous ne pouvons comprendre ni l’infinité de l’espace au-delà de nous, ni les divisions mathématiquement infinies du fondement (littéral et mental) sur lequel nous prétendons nous tenir. Nous sommes entourés d’infinis et pourtant nous voulons traverser ces infinis pour arriver à la certitude. « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie », écrit Pascal, parlant non pas de sa propre voix mais de celle de tout homme s’éveillant pour la première fois à sa condition naturelle.
Si nous regardons à l’intérieur de nous-mêmes, nous serons encore plus secoués. Car ici Pascal nous montre un troisième abîme infini. Nous sommes vides et, dans notre désir de bonheur, notre désir d’être comblé, nous passons notre temps à poursuivre une multitude de vaines diversions. Ils sont tous vain. Un seul objet peut combler le trou infini de notre âme, et pourtant nous le fuyons avec peur : cet objet est le vrai Dieu. Mais nous ne pouvons pas nous introduire Dieu par la raison, la volonté ou l’imagination ; nous ne pouvons le recevoir que par le don surnaturel de la grâce, de la charité.
celui de Pascal Penséesnous pouvons en être presque certains, était son recueil de notes d’apologie de la religion chrétienne qu’il n’a jamais réellement commencé à écrire. La description de la condition naturelle misérable de l’homme, de sa vanité, de sa peur et de son auto-illusion, ainsi que de la seule perspective de bonheur de l’homme dans la réception d’un don divin, la présence intérieure de Dieu lui-même, a inspiré des siècles d’apologistes chrétiens, d’écrivains, et des artistes. De Dostoïevski à Eliot, de Flannery O’Connor au groupe de rock U2, l’imagination chrétienne moderne a en fait été en grande partie l’imagination de Pascal : Nous sommes misérables, nous sommes vides, mais nous pouvons attendre dans les ténèbres de l’espoir la soudaine plénitude de Dieu.
Pour vivre ce Pascal, il faut revenir à ces bribes fortuites. Mais, comme je le dis, il existe un autre Pascal, le Pascal de la tradition française. Avec Michel de Montaigne et René Descartes, Pascal est l’un des pères de la culture nationale française, fruit d’un paradoxe dont tous trois sont responsables. La tradition française met l’accent sur une exactitude logique qui valorise une méthode minutieuse et une précision mathématique comme critères de connaissance. Tous cherchent à échapper aux incertitudes de l’expérience humaine réelle. Et pourtant, cette même tradition reconnaît de diverses manières que toute la pensée méthodique du monde ne peut rendre compte de la plénitude de l’expérience intérieure de soi. Comme le disait Pascal lui-même : « Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît pas ». Le résultat de ces deux principes incompatibles – logique rigoureuse et insuffisance de logique, méthode objective mais appauvrie et subjectivité riche mais incommunicable – a donné forme à la culture française moderne.
La culture française reconnaît Montaigne, Descartes et Pascal comme ayant autre chose en commun. Malgré les réserves du neveu de Pascal, tous trois étaient des maîtres stylistes. L’influence de leur pensée dépend autant de la manière dont ils parlent que de ce qu’ils argumentent. Ce sont les classiques de la prose philosophique française : essayistes, perspicaces, spirituels et élégants.
Compagnon parle de Pascal précisément en ces termes. Le petit livre tient pour acquis que Pascal sera familier depuis l’école. Il tente de réintroduire le penseur canonisé sous un angle, puis sous un autre, sans jamais chercher à l’appréhender dans son ensemble. Compagnon réfléchit plutôt aux nombreuses petites façons dont Pascal a parlé de sagesse et a façonné la vie de la France moderne, tant dans ses caractéristiques religieuses que laïques. Un public américain pourrait trouver les accents de Compagnon déplacés, son engagement envers les idées de Pascal insuffisamment sérieux, ses attentions curieusement françaises plutôt que froidement « existentielles ».
Pour autant, tout lecteur devrait, à un moment ou un autre, être confronté au défi vivifiant et désenchanteur que Pascal nous lance dans l’espoir que, dans la solitude absolue de notre propre vie intérieure, nous puissions « connaître Dieu ». Compagnon n’a pas nécessairement fourni une introduction complète, mais il nous a certainement fourni plusieurs portails vers l’intérieur.