Une conscience politique mûrisse Pourquoi l’activisme évangélique aujourd’hui doit concerner l’ordre public, pas seulement le pouvoir politique

Thibault Delacroix

Une conscience politique mûrisse Pourquoi l'activisme évangélique aujourd'hui doit concerner l'ordre public, pas seulement le pouvoir politique

Pendant une grande partie de l’ère moderne, l’engagement politique évangélique en Amérique a été perçu – parfois à juste titre, parfois à tort – comme une quête de pouvoir. La montée de la droite religieuse à la fin du 20e siècle a été formulée par beaucoup comme un mouvement stratégique pour «reprendre» la culture, affirmer les valeurs chrétiennes par la domination politique. Ce cadrage – qu’il soit totalement précis ou non – a laissé une impression durable sur la conscience publique. Mais ce n’est pas l’histoire de la politique évangélique aujourd’hui.

Il y a une maturation en cours.

Ce changement n’est pas une retraite de la place publique. Il s’agit, en fait, d’une présence plus enracinée et musculaire – celle qui reconnaît les limites de la politique tout en insistant sur la nécessité de la clarté morale en son sein. C’est une forme d’engagement qui n’imagine plus que l’utopie n’est qu’une élection. Au lieu de cela, il cherche à maintenir ce que Russell Kirk a appelé une fois «les choses permanentes» – ces vérités morales durables ancrées dans l’ordre de création qui subit la dignité humaine, la famille, la communauté et la justice.

La laïcité à un stade tardif n’a pas simplement privatisé la religion – elle a coupé la société de tout point de référence transcendant et a laissé des dommages collatéraux indicibles inédits dans son sillage. Cela explique, au moins dans une certaine manière, le soi-disant «changement d’ambiance» qui se produit dans la culture aujourd’hui. Un consensus croissant dans de nombreux coins est que la culture américaine a appuyé autant qu’elle peut aller en essayant d’échapper aux limites morales. Le résultat du succès du progressisme laïque est un effilage du tissu social, un démêlage de biens communs une fois pris pour acquis. Il s’agit de 60 millions d’avortements et de l’antisémitisme incontrôlé sur les campus universitaires. Mariage, sexe, famille, même la vérité elle-même – ce sont maintenant des zones contestées de guerre idéologique.

Face à cela, les chrétiens évangéliques reconnaissent que la politique ne concerne pas seulement la politique, mais sur l’anthropologie – et l’anthropologie qui affecte non seulement l’intérêt personnel chrétien, mais une compréhension culturelle plus large de qui nous sommes en tant qu’êtres humains. Quel genre d’êtres sommes-nous? À quoi sommes-nous? Quel genre de société fait de l’espace pour que les êtres humains s’épanouissent conformément à la façon dont ils sont fabriqués?

L’engagement évangélique devient à la fois plus confiant et plus contraint.

La maturation de la pensée politique évangélique reflète également une correction théologique. Les chrétiens acceptent le fait que les ordres politiques ne sont pas des véhicules de rédemption ultime. L’État est incapable de médiatiser la rédemption, bien qu’il doit posséder un solide consensus moral. Chaque nation est, dans un certain sens, Babylone. Chaque régime politique est tombé. S’attendre à ce que l’État supporte le poids du royaume de Dieu, c’est le transformer en idole. La bonne posture chrétienne est un réalisme principe – ni utopique ni cynique.

Ce réalisme ne se retire pas de la politique, mais il repositionne son objectif. L’engagement chrétien aujourd’hui doit être plus confessionnel et moins impérial. Il doit chercher à ne pas baptiser un parti politique, mais à témoigner de la vérité morale sur la place publique. Il doit se demander: quel est le rôle du droit dans la retenue du mal? Quelles politiques protègent les plus vulnérables? Quelles normes morales doivent être préservées si la liberté doit endurer? Ce ne sont pas des questions visant à récupérer la suprématie chrétienne exclusive. Ce sont des questions d’intendance et de responsabilité publique.

En effet, cette nouvelle posture évangélique est moins motivée par la nostalgie pour une chrétienté perdue, mais par conviction sur la nécessité de l’ordre. Les chrétiens se retrouvent maintenant à faire des arguments qui font appel à la création, pas seulement à la confession. Nous devons nous appuyer sur le droit naturel, l’affirmation de la transcendance et la décadence de la laïcité, du bon sens et de la grâce commune, et une expérience humaine partagée et nous devons affronter les réalités qui préexistent tout arrangement politique: la nature de l’homme et de la femme, la permanence de la famille, la sainteté de la vie et la liberté de la religion.

De cette façon, l’engagement évangélique devient à la fois plus confiant et plus contraint. Confiant – car il est ancré dans une version de la vérité disponible pour tous ceux qui en chercheront. Contracté – parce qu’il sait que l’État n’est pas l’Église et ne remportera jamais de victoires permanentes. L’église n’a pas besoin d’être en charge de César, mais elle doit parler prophétiquement à César. Pas pour le privilège chrétien, mais pour la paix publique.

Cette maturation ne signifie pas le désengagement. Si quoi que ce soit, cela exige un plus grand courage. Dans une société de plus en plus hostile aux normes morales, il faut de la courage pour dire ce qui est vrai – et pour le dire gagnant, persistant et sacrificiellement. Il faut rejeter à la fois la fausse utopie de la messie politique et l’apathie du retrait politique.

Les chrétiens ne devraient pas être surpris que le témoin public soit coûteux. La croix n’est pas un slogan de campagne. Mais ce n’est pas non plus une excuse pour le silence. Le travail de préservation des choses permanentes n’est pas glamour, et cela peut ne pas apporter des victoires électorales. Mais c’est un travail sacré. Et c’est nécessaire.

L’engagement politique évangélique ne meurt pas. Il mûrit. Et c’est une bonne nouvelle – pour l’église et pour le monde.