Une spiritualité «moi, moi, moi»

Thibault Delacroix

Une spiritualité «moi, moi, moi»

Bien que les rapports récents nous disent que le déclin du christianisme en Amérique semble avoir bloqué, le paysage reste assez difficile. C’est parce que, ces derniers temps, la montée de la spiritualité a été exponentielle, et avec cette montée vient un changement fondamental avec lequel peu ont compté. Ce qui était autrefois un mouvement loin de la foi est devenu quelque chose de plus insidieux – pas de l’athéisme, pas même de l’agnosticisme, mais une spiritualité auto-dirigeante qui ne demande rien et qui promet tout.

Les chiffres racontent une histoire plutôt troublante. Bien que la religion institutionnelle ait atteint des plates-formes, de vagues formes de spiritualité – sans doctrine, discipline et croyance partagée – ont augmenté. Environ les trois quarts des Américains se décrivent désormais comme «spirituels» et près d’un troisième prétend être «très spirituel», malgré moins de s’identification à la foi organisée. Ce que nous assistons, c’est l’aube de quelque chose de complètement nouveau et, je propose, très sombre: un système de croyance profondément personnel, subjectif et, parfois, reconditionné commercialement pour la consommation de masse.

En surface, ce changement peut sembler inoffensif, simplement le reflet de l’illumination personnelle. Après tout, les gens recherchent un sens dans la nature, dans la gentillesse, dans l’idée d’une plus grande force qui défie la définition. Mais ce que des millions d’Américains embrassent, ce n’est pas la spiritualité au sens traditionnel; C’est la spiritualité sans structure, sans responsabilité, et, de manière critique, sans le fondement moral que la religion a fourni autrefois.

Les conséquences de ce changement ne sont pas encore pleinement réalisées, mais les fissures se forment déjà. Lorsque la religion institutionnelle a autrefois imposé des frontières morales, la spiritualité moderne se plie aux désirs individuels. Là où la foi a inculqué le sacrifice, l’humilité et la responsabilité communautaire, le nouveau spiritisme se concentre souvent sur l’auto-remplissage. Le langage de la foi a été marchandifié – «la pleine conscience» est commercialisée comme une tendance du bien-être, le «karma» est renommé comme un équilibre cosmique pour justifier des rancunes personnelles, et la «manifestation» est vendue comme un raccourci vers le succès matériel. Dans ce nouveau paradigme quelque peu pervers, la spiritualité ne concerne pas la discipline ou la dévotion mais la consommation – a été transformée, emballée et vendue à ceux qui cherchent un sens sans obligation.

C’est là que des figures comme Jay Shetty et d’autres dans l’entraide et l’arène spirituelle entrent en jeu. Bien que leur ascension puisse être saluée comme une tendance culturelle, cette opinion manque la marque. Leur succès n’est pas simplement une mode qui passe mais une réponse directe à un vide spirituel beaucoup plus important dans la société moderne. Ce n’est pas une coïncidence que leur popularité soit devenue main dans la main avec la tendance croissante de la laïcité. Ils ont repéré une lacune sur le marché – l’on pourrait même l’appeler un écart en forme de divin – un élément d’exploitation. Et l’exploiter qu’ils ont. L’industrie de la retraite du bien-être est en plein essor, tout comme le marché des livres d’entraide et infusés spirituellement, chacun promettant de combler le vide laissé par une connexion décroissante à la foi traditionnelle.

Le défaut inhérent de ce spiritisme moderne est qu’il est fondamentalement égocentrique.

Ces gourous et influenceurs autoproclamés exploitent le vide avec une précision impitoyable. Sans une fondation historique ou doctrinale pour les défier, la spiritualité est devenue juste un autre produit – un produit qui est vendu aux consommateurs en tant que style de vie, avec des retraites de yoga coûteuses prometteurs de transcendance et d’affirmations générées par l’algorithme.

Le défaut inhérent de ce spiritisme moderne est qu’il est fondamentalement égocentrique. La croyance religieuse traditionnelle, dans sa meilleure forme, concernait la communauté, le sacrifice et le service – la foi de l’individu ne concernait pas seulement leur propre salut ou son illumination, mais sur la façon dont ils ont contribué à quelque chose de plus grand qu’eux. Les églises, les synagogues, les mosquées et les temples ont fourni une cohésion sociale, des efforts de bienfaisance et une continuité générationnelle. Ils ont favorisé les obligations qui s’étendaient au-delà de la croyance personnelle, créant un cadre dans lequel les individus étaient responsables des autres. Le concept de moralité partagée – des rules qui s’appliquaient indépendamment de la préférence personnelle – ont constitué le fondement des sociétés pendant des siècles.

Que ce soit à travers des pèlerinages en solo vers des terres éloignées ou la poursuite sans fin du succès matériel à travers la loi de l’attraction, la quête de l’accomplissement spirituel est devenue synonyme d’avancement personnel. C’est une culture «moi, moi, moi» déguisée en quête métaphysique, où l’accent n’est pas mis sur la subsistance spirituelle, mais sur le propre voyage de l’individu vers le succès, la reconnaissance et le gain matériel. Plutôt que de favoriser un sentiment de responsabilité collective, le nouveau spiritisme nous a poussés vers l’atomisation, où chaque personne est son propre gourou. En d’autres termes, pourquoi regarder Dieu, pourquoi regarder une puissance supérieure, alors que vous pouvez vous regarder?

Une société sans fondement moral partagée, aucun sens convenu du bien et du mal, et aucun appel supérieur au-delà de la satisfaction personnelle n’est une société amorcée pour la fragmentation, la manipulation et le déclin ultime.